C. Koller: : L’industrialisation et l’Etat au pays de l’horlogerie

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Titel
L’industrialisation et l’Etat au pays de l’horlogerie.


Autor(en)
Koller, Christophe
Erschienen
Courrendlin 2003: Editions Communication jurassienne et européenne
Anzahl Seiten
610 p.
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Marti Laurence

Ch. Koller nous livre ici une version retravaillée de sa thèse soutenue à l’Université de Berne en 2001. En se centrant sur l’analyse des liens entre l’industrie horlogère et l’Etat au sein de ce que l’auteur appelle la «nouvelle partie du canton de Berne (NPCB)», soit le Jura bernois d’avant 1974 et Bienne, l’auteur traite une problématique des plus pertinentes qui n’avait pourtant pas fait l’objet jusqu’ici d’une véritable synthèse historique. C’est donc chose faite avec cet ouvrage couvrant une large période (1846–1951) et reposant sur l’exploitation d’un nombre important de sources. Il faut relever à ce sujet la qualité du travail mené sur le plan statistique.

Au niveau théorique, l’auteur rompt drastiquement avec ce qu’il appelle le mythe du non-interventionnisme étatique. S’inspirant, entre autres, de la théorie des élites et de l’approche de J.K. Galbraith sur l’Etat industriel, il défend la thèse d’une forte présence de l’Etat (réduit à sa dimension administrative), dont la mission principale serait de répondre aux impératifs d’une élite économique. Les formes de l’intervention étatique découleraient directement des besoins de cette élite qui doit elle-même faire face à l’évolution de la conjoncture économique.

Pour étayer sa thèse, l’auteur étudie à la fois les interactions entre acteurs industriels (surtout horlogers) et acteurs politiques et l’évolution de la politique économique menée par le canton de Berne et la Confédération. Le tout mis en relation avec l’évolution de la situation économique. Après deux parties consacrées l’une aux questions méthodologiques l’autre à une présentation du développement du «district horloger» dans la NPCB, les deux dernières parties de l’ouvrage se concentrent sur le traitement de la problématique proprement dite. Elles correspondent aux deux phases significatives mises en évidence par l’auteur, soit 1846–1918 et 1919–1951. A noter que la synthèse en distingue trois, ce qui n’est pas sans introduire une certaine confusion pour le lecteur.

La première phase est étroitement associée à la mise en place de l’Etat radical. Patrons horlogers et élus radicaux au Grand-Conseil bernois ne font souvent qu’un, ce qui assure un relais efficace pour les idées patronales au niveau cantonal. C’est ainsi que le canton de Berne développe une conception industrialiste, d’influence saint-simonienne. Il soutient activement le développement économique, avec une participation à la construction des chemins de fer, avec la création d’une banque cantonale et d’une caisse hypothécaire, avec une politique de promotion économique. Il favorise aussi, relayé par la Confédération, une certaine organisation de ce développement, avec la mise en place de structures centralisatrices (préfectures, écoles professionnelles, législation sur les fabriques) et l’installation d’agents administratifs locaux (préfets, enseignants, inspecteurs des fabriques), eux-mêmes souvent industriels.

Ce «système notable», qui reposait sur une forte dynamique régionale, s’essouffle dès les années 1890, avec la perte d’influence du Parti radical et avec la création de la Société intercantonale des industries du Jura, regroupant les représentants de l’horlogerie des différents cantons horlogers. Progressivement les centres de décision se déplacent au niveau national et le patronat jurassien, à l’exception des plus grandes entreprises, aura plus de difficultés à se faire entendre.

Devenue, en 1881, Chambre suisse de l’horlogerie (CSH), cette société s’impose surtout à partir de 1919, date qui marque le début de la seconde phase mise en évidence par l’auteur. Plusieurs crises conséquentes secouent l’industrie horlogère poussant les horlogers à réagir. La CSH défend alors une politique de concentration industrielle dans un univers fortement morcelé et un contrôle des prix là où règne le libre marché. A cette fin, elle crée entre 1924 et 1927 les «trois piliers» de l’industrie horlogère: la Fédération suisse des fabricants d’horlogerie (FH), le holding Ebauches SA et l’Union des branches annexes (UBAH). Ces regroupements seront complétés par la création, en 1931, de l’Asuag, super-holding, censée contrôler l’ensemble de la production horlogère. De 1920 et 1930, ces instances édictent plusieurs conventions visant à stabiliser les prix et à contrôler les exportations (lutte contre le chablonnage). Plutôt en retrait, la Confédération participe financièrement à la création de l’ASUAG et intervient indirectement à différents niveaux (douanes, garantie contre les risques à l’exportation, formation professionnelle). Devant l’inefficacité des conventions, la pression des associations patronales va être de plus en plus importante auprès de la Confédération pour qu’elle intervienne directement. C’est alors l’introduction, dès 1931, des arrêtés fédéraux urgents dont une bonne partie concernent l’horlogerie. Ils posent les bases de ce qui constitue le «statut légal» horloger en 1951: un ensemble de mesures d’inspiration cartellaire, réglementant à l’échelle nationale la création et l’agrandissement d’entreprise, ainsi que la fixation des prix. Il officialise une forme d’interventionnisme qui durera jusqu’aux années soixante.

Au travers de l’analyse très détaillée de ces deux phases, Ch. Koller apporte incontestablement la preuve de la présence étatique tout au long du développement horloger de la NPCB. Un constat qui ne fait que confirmer les résultats des études réalisées sur d’autres systèmes industriels locaux, en France comme en Italie, où le soutien politique (qu’elle qu’en soit d’ailleurs l’orientation) s’avère être une constante. Partant de ce constat, on ne peut alors que regretter que Ch. Koller n’ait pas davantage fait ressortir la spécificité de cette intervention dans le cas observé, surtout après 1918, et l’impact effectif des décisions prises. Au moment même de l’élaboration des arrêtés fédéraux urgents, l’Etat français, confronté aux mêmes pressions économiques, se fait extrêmement volontariste et s’implique activement dans une politique de concentration qui aboutit à la destruction de la majorité des tissus industriels locaux. Face à cela, non seulement l’interventionnisme suisse reste très modeste et réactif, il s’efface dès les crises passées, mais le «statut légal» conserve une place à la petite entreprise. Jusqu’à un certain point, plus que de répondre aux seules velléités des grands horlogers, il entérine un état de fait, la diversité du tissu industriel, voire tente d’arbitrer les différends qui sont apparus au sein de l’industrie horlogère, entre petite et grande structure et entre régions. Plus que le poids d’une élite, c’est la confrontation entre groupes de pression qui semble dicter les choix politiques, ce qui plaiderait en faveur d’un modèle pluraliste de l’Etat au sens de R. Aron. Pour le vérifier, il aurait été intéressant de mieux faire ressortir l’argumentaire fédéral conduisant à l’élaboration des arrêtés urgents et du statut. Mais peut-être aurait-il aussi fallu admettre alors l’existence d’une logique politique, partiellement différente de la logique économique. Si la Confédération insiste en 1951 sur l’importance des PME, c’est pour maintenir l’emploi et la vie dans les localités campagnardes, et l’artisan est reconnu comme indispensable à la vie sociale et politique du pays. Le dynamisme régional n’est pas totalement sacrifié sur l’autel du centralisme. Une meilleure prise en compte de tels arguments aurait permis d’appréhender le rôle de l’Etat de manière plus nuancée, voire de lui reconnaître une forme d’autonomie, dimension que l’auteur semble malheureusement totalement négliger.

Citation:
Laurence Marti: compte rendu de: Christophe Koller: L’industrialisation et l’Etat au pays de l’horlogerie. Courrendlin, Editions CJE, 2003. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 55 Nr. 3, 2005, S. 357-359.

Redaktion
Veröffentlicht am
01.12.2011
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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